Justice 3.0

Publié le par Raymond Lévy

Dans un passé qui nous paraît déjà bien lointain, en 2017, le programme d'En Marche énonçait pour la Justice : "Aujourd'hui, on peut faire ses courses sur Internet, y suivre des cours ou payer ses impôts. On peut y suivre heure par heure le cheminement d'un colis. Mais on ne peut pas y obtenir justice." Comme les choses ont changé ! Depuis que la Garde des Sceaux de l'époque, Nicole Belloubet, a décidé une vaste numérisation du ministère de la justice pour remédier aux crises d'effectifs et de moyens,  tout se fait par internet. En 2017, les avocats devaient transmettre leurs dossiers par internet, à des juridictions dont les capacités informatiques étaient insuffisantes pour recevoir les pièces jointes, notamment les photographies. Mais un énarque de génie s'est avisé que notre cerveau est une sorte d'ordinateur, et a trouvé un moyen de télécharger, directement dans la tête des juges, la matière des dossiers ! Certes, il y a eu des bugs au début : je me souviens d'un jour où on m'a transmis un dossier très volumineux, qui a envahi mon cerveau et qui, pour se faire de la place,  avait effacé de mon "disque dur" tous les composants de sécurité personnelle : activation de la respiration, des rythmes cardiaques, etc. J'ai cru mourir ! Personne ne savait comment récupérer mes paramètres de connexion vitale, et on m'a mis en coma artificiel en attendant. L'enregistrement de ces paramètres avait été interdit par la Commission Nationale Informatique et Liberté, et le ministère de la justice était persuadé qu'il ne les avait pas enregistrés - non que nul n'aie jamais eu le moindre doute sur le caractère absolu du respect par le ministère de cette interdiction, mais parce qu'il existait de sérieux doutes sur la qualité de sa gestion des ressources humaines. Mais fort heureusement, un collègue qui avait vécu à une époque où on ne croyait pas les discours ministériels a activé sans trop y croire ses contacts internationaux, et le miracle s'est produit ! La NSA (National Security Agency) et le FSB (l'héritier russe du KGB) ont très rapidement téléchargé mes codes de sécurité personnels et m'ont ramené ainsi à la vie. Bien sûr, ils n'étaient pas supposés avoir pu les enregistrer, car notre système informatique national est en principe doté d'une très forte protection. Il est admis qu'il est capable de résister une heure à un pirate informatique âgé de six ou sept ans (après cet âge, c'est déjà le déclin !), ce qui paraissait très rassurant et bien suffisant pour assurer la confidentialité des dossiers.  L'ambitieuse réforme de la numérisation de la Justice s'est accompagnée dès 2017 d'une autre révolution : la disparition des postes vacants. On ne s'est pas fatigué à tenter de les pourvoir, il est vrai que ça n'en valait pas la peine : à peine vingt à quarante pour cent des postes de magistrats et de greffiers non pourvus, selon les juridictions. Le ministère  a tout simplement décidé de ne plus répertorier que les postes effectivement occupés, et de sortir des rubriques et des statistiques les postes vacants et leur localisation. Il n'existe plus officiellement de vacances de postes. Toutes les archives papier ont été supprimées, dans le cadre du plan de destruction de la mémoire de l'Etat, car trop coûteuses en maintenance.  Ce système empêche les comparaisons (éventuellement défavorables) entre ce qui existait avant et ce qui existe aujourd'hui, en ce trente février 2035. Je sais, il n'existe que 28 jours et parfois 29 en février, mais comme on a choisi le trente du mois pour payer nos traitement et effectuer les retenues à la source, on a créé fictivement et de manière purement informatique un trente février, durant une milliseconde, par commodité comptable - Le système ne permet pas encore des retenues supérieures à cent pour cent du revenu, mais les techniciens y réfléchissent. L'informatique centrale est gérée par le ministère, selon un logiciel qui interdit d'avoir des statistiques défavorables, ce qui est très positif pour l'avancement, calculé sur des bases statistiques qu'un humoriste a qualifiées de "sincères"...(rassurez-vous, il a disparu).

Voila, je pourrais vous parler encore longuement de ma condition de juge en 2035, mais je m'arrête là pour ne pas saturer immédiatement votre mémoire vive.

 

Informatiquement vôtre,

Judex Informaticus

 

 

 

 

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